Analyse de la situation épidémique en Mayenne au 10 juillet 2020 et conséquence sur les stratégies de contrôle, en particulier au regard su dépistage massif en population générale*
*Dr Pierre Blaise, Directeur PRS, ARS Pays de la Loire.
La situation épidémique de la Mayenne est préoccupante parce qu’elle survient dans un contexte d’intensification de la circulation virale. Les conditions d’une accélération exponentielle des contaminations sont réunies. Elle a commencé à se manifester dans nos outils de suivi épidémiologique.
Au-delà de la maitrise des clusters, l’enjeu est d’éviter à tout prix une vague épidémique de l’ampleur de la première.
L’objectif pour l’éviter est de réduire la circulation virale et ainsi la pression épidémique.
La stratégie pour cela est l’amplification significative du dépistage.
Durant les seuls 6 premiers jours de juillet, se sont produites autant d’infections nouvelles que durant les 50 jours précédents du 11 mai au 30 juin. C’est cette accélération exponentielle, pour la première fois dans la région depuis le déconfinement, qui justifie une réaction d’ampleur et sans délai.
Cette accélération est à rapporter à l’expérience de la première vague épidémique : L’accélération s’est fait sentir durant la première quinzaine de mars où tous les nouveaux cas identifiés pouvaient encore être tracés dans la région jusqu’au 16 mars. Puis a conduit en seulement deux semaines entre le 17 et le 31 mars à la saturation du nombre courant de lits de réanimation (181) par des malades COVID-19. La catastrophe n’a été évitée que par l’augmentation massive du nombre de lites de ranimation et des capacités hospitalières.
Or une nouvelle accélération survient alors que d’une part 7 clusters sont simultanément sous investigation en Mayenne et que d’autre part de nombreux indices convergents présagent une circulation virale qui s’intensifie dans la population. Autrement dit, le bruit de fond au sein duquel émergent aujourd’hui les clusters en Mayenne est plus intense qu’il y a quelques semaines. Et pas seulement en Mayenne.
Pour mémoire, au début de l’épidémie, c’est l’introduction simultanée sur le territoire de cas index multiples échappant au contrôle qui représentait la menace de flambée épidémique.
Aujourd’hui, c’est à partir du bruit de fond des infections interpersonnelles diffuses dans la population qu’émergent des clusters ici ou là, sitôt que les conditions sont réunies pour une transmission rapide vers un grand nombre de personnes simultanément. Conditions favorisées par des atmosphères favorables à la survie du virus comme les abattoirs ou par la vie en promiscuité dans des situations où distanciation et gestes barrières sont difficiles à respecter comme les hébergements collectifs pour personnes vulnérables.
Or aujourd’hui ce bruit de fond est manifestement plus important.
Les épisodes de clusters que nous avons connus dans la région n’avaient pas entrainé jusqu’à présent le dépassement du seuil de vigilance de 10 pour 100 000hab sur 7 derniers jours. Or en Mayenne nous touchons au seuil d’alerte de 50 pour 100 000 habitant.
Les clusters de ces épisodes passés se sont succédés sans apparaitre simultanément, ni être reliés entre eux. Aujourd’hui, leur nombre simultané est important en Mayenne. Et nous sommes en mesure de relier certains de ces clusters entre eux, montrant qu’ils se nourrissent mutuellement. Comme ils surviennent dans les environnement sociaux ou professionnels particulièrement favorables à la diffusion du virus, le risque d’amplification de la transmission est important.
Aucun épisode précédent de clusters n’avait connu de diffusion communautaire alors qu’aujourd’hui la difficulté à rattacher une soixantaine de cas à un cluster impose d’envisager cette hypothèse pour au moins l’un des clusters.
Alors que beaucoup redoutait le démarrage d’une nouvelle vague épidémique sitôt le déconfinement, cela ne s’est pas produit laissant envisager l’hypothèse d’une pause saisonnière voire de la disparition du virus.
La poursuite de l’épidémie dans le monde montre qu’il n’en est rien. Tout semble se passer comme s’il fallait que se constitue d’abord une masse critique de contaminations quotidiennes suffisante pour qu’émergent d’abord des clusters ici ou là puis leur coalescence, et enfin un redémarrage exponentiel à partir d’un bruit de fond qui s’amplifie soudainement.
Le passage d’une croissance linéaire (10 nouveaux cas chaque 6 jours de façon constante : de 1 cas à 10 (+10), puis à 20 (+10) puis à 30 (+10 puis à 40 (+10) …) à une croissance exponentielle (doublement des cas durant un intervalle constant de temps : chaque 6 jours on passe de 40 cas à 50 (+10) cas puis à 100 (+50) puis à 200 (+100), puis à 400 (+200) puis …) est le principal signal qui exige une réaction efficace de contrôle sans délai.
Alors que les équipes de surveillance des régions du grand ouest, Bretagne et Aquitaine avaient l’impression qu’en dehors de clusters localisés, l’épidémie avait marqué le pas, tout comme en Mayenne il y a seulement deux semaines, elles laissent entendre qu’elles sentent nettement une pression épidémique accrue peser sur les équipes en charge du contract-tracing.
Une série de signes montrent également une intensification de la circulation virale diffuse en population.
Partout et y compris en PDL, les signalements de suspicions de covid-19 par SOS médecin augmentent.
A Paris où la densité de population rend les prélèvements plus rapidement significatifs, le virus a refait son apparition dans les eaux usées.
Le R0 qui témoigne de l’intensité de la transmission est désormais estimé supérieur à 1 en France et 1,56 en Pays de la Loire, ce qui signifie qu’une personne en infectant plus d’une une croissance exponentielle peut reprendre à tout moment.
A l’étranger, en Europe et dans le monde, l’épidémie s’intensifie, qu’il s’agisse de la première ou de la deuxième vague.
L’Allemagne touchée par un cluster important dans un abattoir couplé à des conditions d’hébergements de travailleurs étrangers favorable à la diffusion virale à conduit à une décision de reconfinement.
L’Espagne, le Portugal à Lisbonne, l’Italie à Rome prennent également des mesures localisées.
L’Australie, qui semblait peu touchée, et entre dans sa saison hivernale, constate une reprise de l’épidémie et réagit précocement, remet en œuvre confinement et dépistage de masse. Une situation similaire au Japon également peu touché initialement
Par contraste, les pays qui ne mettent pas en œuvre des mesures suffisantes suffisamment tôt connaissent un développement exponentiel de l’épidémie.
Le dépistage, aujourd’hui possible à grande échelle, a probablement montré son efficacité pour réduire la pression épidémique. Le nombre de décès moins important en Allemagne qu’en France témoigne peut-être en réalité d’une pression épidémique (le nombre de cas réel dans la population) beaucoup moins importante qu’en France où le nombre de cas réel a été probablement considérablement plus important, expliquant une mortalité beaucoup plus importante alors que la létalité réelle (nombre de décès rapporté au nombre réel d’infections) est peut-être identique.
Deux phénomènes y ont probablement contribué. D’une part l’absence de cluster important en Allemagne, à la différence de la France, qui déclenche une accélération brutale. D’autre part le dépistage plus intense qui permet d’identifier précocement et d’isoler des personnes asymptomatiques ou pré-symptomatique dont on sait depuis quelques jours qu’ils jouent un rôle plus important que les modélisations extrapolées de la grippe et des autres épidémies à coronavirus laissaient supposer.
De jour en jour, la communauté scientifique d’abord étonnée de ne pas voir l’épidémie reprendre sitôt le déconfinement, et évoquant l’hypothèse d’une pause saisonnière voire d’une disparition du virus, s’accorde désormais sur la probabilité d’une reprise de l’épidémie si elle n’est pas efficacement contrôlée. Et peut-être dès l’été.
Cette situation nouvelle de pression épidémique plus intense depuis le début du mois de juillet conduit l’agence à mettre en œuvre avec ses partenaires une réaction vigoureuse et intense.
Le contact-tracing et la maitrise des clusters qu’il identifie par du dépistage ciblé intensif est la clé de voute du contrôle de l’épidémie … tant qu’elle se manifeste par des clusters isolés.
Dès lors que suffisamment d’indices concordants laissent penser que le virus circule plus intensément dans la population, autrement dit que le bruit de fond augmente, il est urgent de baisser la pression épidémique, réduire le bruit de fond pour diminuer la probabilité d’alimenter le départ de nouveaux clusters et le risque qu’ils diffusent en population générale alimentant encore en carburant l’intensité du bruit de fond.
Nous formulons l’hypothèse que seul un dépistage plus intensif en population générale devrait permettre de faire baisser la pression épidémique. L’Allemagne, qui partage notre culture Européenne de respect des libertés individuelles, semble avoir montré la voie.
Par ailleurs l’anticipation, par la poursuite du dépistage ciblé, en l’absence de cas révélés, dans des environnements favorables à la circulation du virus sont importants pour éviter l’apparition de nouveaux cluster.
C’est à ce prix nous semble-t-il que nous pourrons peut-être éviter des reconfinements ciblés de population.
https://www.pays-de-la-loire.ars.sante.fr/coronavirus-actualite-et-conduite-tenir-0